Un film, un livre
Même dans le désert, on peut parfois trouver une oasis où se reposer et partager d'autres sentiments que la colère.
Un film, que beaucoup ont déjà soutenu : "RENGAINE" de Rachid Djaïdani, pour lequel il me semble nécessaire d'ajouter mon grain de sel. En laissant de côté les conditions de sa réalisation, finalement anecdotiques.
Si on regarde comme je l'ai fait en ne sachant presque rien, que vois-t-on? Un film très violent qui nous renverse et nous attache à la fois, en nous obligeant brutalement à passer par toute une gammes de sentiments. Heureusement, très vite, j'ai pensé à Roméo et Juliette et cette ouverture sur le mythe m'a permis de souffler un peu.
Un tout petit peu cependant, car, s'il s'agit bien d'un mythe, ça n'est pas pour autant une histoire ancienne et surtout pas un conte qu'on pourrait regarder dans son fauteuil , comme à l'opéra, en jouissant paisiblement de la musique et en se préparant à discuter savamment du jeu des acteurs( qui sont ici excellents). La violence est celle d'aujourd'hui, dans le monde de la ville tout aussi bien que dans l'intimité de chacun des personnages et donc de chacun des spectateurs. Et Rachid Djaïnani sait la saisir où elle est, dans les mots, les attitudes, la tension à peine soulagée parfois par quelques instants de paix provisoire ; il sait aussi la manipuler pour nous conduire là où il veut : la scène de la torture est de ce point de vue exemplaire et d'une réussite parfaite (vous verrez...).
Mais ce n'est pas seulement Roméo et Juiette, c'est aussi et peut-être plus encore, YOL de Yılmaz Güney (sorti en 1982) : c'est ici,et pas dans la lointaine Turquie,la décomposition des cultures dans leur choc violent. Décomposition DES cultures car aucune des deux ou trois qui se battent dans chaque individu n'en sortira indemne ; parce qu'aujourd'hui personne ne peut tenir durablement tenir ses apparentes certitudes - même si les affirmations identitaires se raidissent : elles se raidissent parce qu'elles ne peuvent plus tenir.
Et peut-être le personnage essentiel du film est-il le frère aîné, tenant lieu du père (les pères sont absolument absents...), rigide comme le père pourrait l'être mais quand même lui même travaillé, boulversé et tellement fragile dans son obstination à tenter de maintenir l'intenable. Cet homme n'est pas sympathique (il est le méchant qui empêche les amants de s'aimer), mais il est magnifique dans ses contradictions.
je ne dirai pas la fin, suivant la tradition. Dans quelque temps peut-être on pourra en parler clairement : car il faudra en parler. Rachid Djaïnani crée quelque chose de neuf, de bouleversant et, à sa façon en même temps puissante et discrète, s'engage pour l'avenir.
Ça vaut le coup d'être bousculé....
Être bousculé d'une tout autre manière, par Pascal Quignard et son très beau livre "les désarçonnés".
Quignard est un solitaire, un lettré que j'imagine vivre dans une vallée brumeuse, marchant le long de la rivière avant de retrouver son immense bibliothèque en parcourant encore et encore le temps, la langue et l'espace. C'est difficile souvent, lumineux tout autant, dérangeant toujours. Pas moyen avec lui de garder une idée reçue ; sans en avoir l'air, au détour d'une anecdote, il contraint à penser, à faire la place pour un autre regard, pour un autre enchaînement des idées. Inutile de résumer; impossible de donner une clé : il faut entrer et s'abandonner au fil tortueux qui pourtant ne se perd jamais. Ou refermer, en espérant que le livre vous retrouvera.
Redécouvrir le possible, la liberté du tragique et la nécessité de cette liberté, tel est l'enjeu...