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Cri dans le désert - Billets d'humeur

9 décembre 2012

Un film, un livre

Même dans le désert, on peut parfois trouver une oasis où se reposer et partager d'autres sentiments que la colère.

Un film, que beaucoup ont déjà soutenu : "RENGAINE" de Rachid Djaïdani, pour lequel il me semble nécessaire d'ajouter mon grain de sel. En laissant de côté les conditions de sa réalisation, finalement anecdotiques.

Si on regarde comme je l'ai fait en ne sachant presque rien, que vois-t-on? Un film très violent qui nous renverse et nous attache à la fois, en nous obligeant brutalement à passer par toute une gammes de sentiments. Heureusement, très vite, j'ai pensé à Roméo et Juliette et cette ouverture sur le mythe m'a permis de souffler un peu.

Un tout petit peu cependant, car, s'il s'agit bien d'un mythe, ça n'est pas pour autant une histoire ancienne et surtout pas un conte qu'on pourrait regarder dans son fauteuil , comme à l'opéra, en jouissant paisiblement de la musique et en se préparant à discuter savamment du jeu des acteurs( qui sont ici excellents). La violence est celle d'aujourd'hui, dans le monde de la ville tout aussi bien que dans l'intimité de chacun des personnages et donc de chacun des spectateurs. Et Rachid Djaïnani sait la saisir où elle est, dans les mots, les attitudes, la tension à peine soulagée parfois par quelques instants de paix provisoire ; il sait aussi la manipuler pour nous conduire là où il veut : la scène de la torture est de ce point de vue exemplaire et d'une réussite parfaite (vous verrez...).

Mais ce n'est pas seulement Roméo et Juiette, c'est aussi et peut-être plus encore, YOL de Yılmaz Güney (sorti en 1982) : c'est ici,et pas dans la lointaine Turquie,la décomposition des cultures dans leur choc violent. Décomposition DES cultures car aucune des deux ou trois qui se battent dans chaque individu n'en sortira indemne ; parce qu'aujourd'hui personne ne peut tenir durablement tenir ses apparentes certitudes - même si les affirmations identitaires se raidissent : elles se raidissent parce qu'elles ne peuvent plus tenir.

Et peut-être le personnage essentiel du film est-il le frère aîné, tenant lieu du père (les pères sont absolument absents...), rigide comme le père pourrait l'être mais quand même lui même travaillé, boulversé et tellement fragile dans son obstination à tenter de maintenir l'intenable. Cet homme n'est pas sympathique (il est le méchant qui empêche les amants de s'aimer), mais il est magnifique dans ses contradictions.

je ne dirai pas la fin, suivant la tradition. Dans quelque temps peut-être on pourra en parler clairement : car il faudra en parler. Rachid Djaïnani crée quelque chose de neuf, de bouleversant et, à sa façon en même temps puissante et discrète, s'engage pour l'avenir.

Ça vaut le coup d'être bousculé....

Être bousculé d'une tout autre manière, par Pascal Quignard et son très beau livre "les désarçonnés".

Quignard est un solitaire, un lettré que j'imagine vivre dans une vallée brumeuse, marchant le long de la rivière avant de retrouver son immense bibliothèque en parcourant encore et encore le temps, la langue et l'espace. C'est difficile souvent, lumineux tout autant, dérangeant toujours. Pas moyen avec lui de garder une idée reçue ; sans en avoir l'air, au détour d'une anecdote, il contraint à penser, à faire la place pour un autre regard, pour un autre enchaînement des idées. Inutile de résumer; impossible de donner une clé : il faut entrer et s'abandonner au fil tortueux qui pourtant ne se perd jamais. Ou refermer, en espérant que le livre vous retrouvera.

Redécouvrir le possible, la liberté du tragique et la nécessité de cette liberté, tel est l'enjeu...

 

 

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17 novembre 2012

Que Claude DUNETON nous soit conté

Claude Duneton 2009 (1)

Nouveau cri, dans le même désert...

Bien que quelques échos aient répondu au premier. Mais le désert est vaste et le bruit organisé si envahissant que je me prends une fois de plus à rêver de  partir vers une oasis encore inconnue.

D'ailleurs, c'est aussi dans le désert que s'achève, dans mon souvenir, le livre de Richard Powers dont j'ai parlé la semaine dernière. Devant la vanité :  l'aspiration au silence.

Quelques mots quand même, puisque je vis d'eux et que Paul Valéry n'est jamais bien loin : les mots sont notre seul pont au dessus de l'abîme.

Aujourd'hui il s'agira d'un écrivain,Claude DUNETON et d'une petite bassesse qui ne l'aurait probablement pas surpris.

Duneton, très connu ("La puce à l'oreille") et largement méconnu est mort au début de cette année, après une maladie qui l'avait privé de la parole, lui l'amoureux des mots, le connaisseur exceptionnel de la langue et de de ses jeux, l'homme de théâtre et de la chanson, l'homme à la mémoire infaillible ancré dans l'histoire, du langage du peuple à la psychanalyse. Coup de pied en vache, bien vicieux qui rend, peut-être,son souvenir encore plus précieux à ses amis fidèles. Parce qu'il était aussi le meilleur et le plus fidèle des amis, généreux et discret, exigeant et tolérant, curieux et respectueux. Aujourd'hui encore son oeil vif et son sourire malicieux nous accompagnent.

Ceux qui le connaissent se souviennent, dans le désordre et en piochant dans son oeuvre de "Je suis comme une truie qui doute", du "Monument"(extraordinaire récit sur la boucherie de la guerre de 14), bien sur de "la Puce" déjà citée ou de la monumentale "histoire de la chanson française" qui remonte au plus loin dans le temps de cette création populaire vivante, ou encore de ce "bal à Körsor" où l'érudition, l'histoire et encore la générosité se mêlent dans un profond hommage à Céline, et encore de son dernier roman "La dame de l'Argonaute" dans lequel il fait revivre les débuts extraordinaires d'une scientifique du début du 19ème siècle, et tant d'autres à découvrir.

À ceux qui ne le connaissent pas, je conseille de commencer par "Parler croquant" récemment réédité. Tout Duneton est là et si vous y jetez un oeil, vous ne le quitterez plus. Laissez vous guidez par ce récit qui éclaire de façon radicalement originale l'histoire de la langue et vous comprendrez peut-être pourquoi cet homme exceptionnel est resté quand même méconnu : c'etait un homme du peuple, un homme libre, amoureux de la langue et de la vérité, qui ne s'est lié à aucune chapelle ou coterie littéraire ou à un quelconque pouvoir. Son impertinence douce et sans concessions, sa fidélité au monde de son enfance qui pourtant ne tombait jamais dans la nostalgie facile ou les enjolivures réactionnaires, lui ont fait beaucoup d'amis, mais pas vraiment de place chez les bien pensants.

Ce qui éclaire peut-être quelques ressorts de cette bassesse que je rappelle ici : à la dernière "Foire du Livre" de Brive, dans cette Corrèze qu'il a toujours aimé sans l'idéaliser, il a fallu beaucoup d'efforts de ses amis pour qu'un hommage d'UNE minute lui soit rendu publiquement. Je ne sais ce qui dérangeait les organisateurs ni pourquoi il fallait apparemment escamoter cette mémoire, reste qu'il serait bon que revienne aux oreilles de ceux qui sont responsables de cet état des choses qu'ils ont commis une mauvaise action.

Probablement ne s'abaisseront-ils pas à lire ma prose solitaire, n'empêche que ça fait du bien de dire au vent ce qui doit être dit..!

 

12 novembre 2012

Frankenstein?

Cri dans le désert…

 

Dans les multitudes d'idées reçues, reprises en boucle à propos du "mariage pour tous", peut-on ne pas être politiquement correct, sans immédiatement se trouver renvoyé aux côtés des obscurantistes divers?

Pas sûr!

Donc : un cri dans le désert…

 Cri provoqué par la lecture d'un article dans un "cahier science du Monde" du 27 octobre 2012. Titre : Biologie et homoparentalité. Auteur : Laurent ALEXANDRE. Il faut le lire intégralement. Pas long, mais parfaitement et tranquillement explicite. Deux phrases clés : après avoir décrit les possibilités techniques actuelles et possibles dans un proche avenir en matière de procréation artificielle ("…La technique des cellules souche IPS … permet de fabriquer des spermatozoïdes et des ovules à partir de fibroblastes, des cellules que l'on trouve sous la peau. Il est déjà possible de fabriquer un souriceau à partir de deux pères. Le passage de ces techniques à l'espèce humaine est juste une question de temps, et les associations homosexuelles militeront pour que ce délai soit bref. En outre, grâce aux cellules souches IPS, un même individu pourra produire à la fois des ovules et des spermatozoïdes….// … Dans quelques décennies, les couples d'hommes pourront en outre bénéficier de l'utérus artificiel…"), l'auteur conclut : " L'expérience montre que la vitesse de glissement du " défendu " au " toléré " puis au " permis ", voire à l'" obligatoire ", dépend essentiellement du rythme des découvertes scientifiques, quelles que soient les questions éthiques soulevées." (je souligne)

 A quoi fait écho dans "Le Monde" du 9/11/2012

" Oui, nous vivons un vrai changement anthropologique, qui s'inscrit dans la continuité de la construction de l'individu contemporain, qui peut décider de tout pour lui-même, y compris de sa sexualité". Caroline THOMPSON, psychanalyste.  Sur quel divan cette psychanalyste a-t-elle trouvé un sujet humain qui décide de sa sexualité? Et comment ferait-elle croire à un individu contemporain qu'il décide pour lui-même, quand le plus petit minimum de conscience politique montre que des décisions essentielles pour notre intimité sont prises à l'autre bout de la planète et sans que nous n'en ayons la moindre conscience : qui décide de ce que je mange?

 La limite de la psychanalyse, c'est à dire sa disparition sociale, est atteinte quand des psychanalystes, des philosophes (théories du genre) et des scientifiques (bio-neuro-généticiens), tous œuvrant pour le bien de l'humanité - est-on inévitablement grégaire, donc stupide quand on est de gauche?-  s'associent pour déclarer l'Inconscient obsolète. D'ailleurs ils ne déclarent rien, ils l'ignorent… Inconscient, puisqu'il faut rappeler l'évidence des choses les plus élémentaires, cela signifie 1)qu'un être humain se construit avec ce qu'il a reçu et reçoit en permanence et jamais "pour lui-même" et 2) indissolublement qu'il est toujours INSCRIT dans son corps et par les autres dans une forme quelconque d'identité sexuelle. Décidera-t-on dans l'utérus artificiel de fabriquer des petits êtres non sexués ? Nous ne sommes pas avares de "changement anthropologique"

Le débat sur "le mariage pour tous" se révèle donc pour ce qu'il est : un très dense écran de fumée ; ce que nous rappelle Laurent Alexandre, chirurgien urologue, président de DNAvision (ça ne s'invente pas!), c'est qu'en fin de compte, c'est le marché qui décide… La chaîne complète serait : nous faisons ce que nous sommes capables[1] - techniquement – de faire, nous faisons, dans notre réalité sociale, ce qui peut être rentable, le marché décide. L'idéologie de la "liberté" lie la sauce.

Pour qui penserait que, comme la dame précitée, je délire (beau combat : délire de toute puissance contre délire paranoïaque), je propose deux saines lectures :

  • Eli Zaretsky avec qui j'ai déjà sonné quelques trompettes ; il termine son  livre, "Le siècle de Freud" (traduit en français en 2008) en s'interrogeant sur le déclin de la psychanalyse à partir des années 80. Il propose l'hypothèse, au-delà des errements des analystes eux-mêmes, que la psychanalyse  n'a plus sa place dans l'imaginaire du capitalisme après sa troisième révolution industrielle, révolution de "l'information" où il ne s'agit plus que des individus fabriquent des produits pour d'autres individus, mais que des émetteurs/récepteurs échangent des messages.

  • Richard Powers "Générosité" : c'est un roman … science, technique et marché de la biologie.

 

Terminons provisoirement en revenant aux choses sérieuses : une femme m'a appris cette semaine que le gène de l'infidélité a été découvert, plus présent chez les hommes. Je lui laisse la responsabilité de l'information que je n'ai pas vérifiée …

 P.S. : Comme le hasard objectif ne m'abandonne pas, deux citations tirées ces jours-ci du roman de MURAKAMI "Kafka sur le rivage" (10/18) :

  • "La responsabilité commence avec le pouvoir de l'imagination. YEATS disait : In dreams begin responsibilities. …  p.178 (je crois que Freud aurait apprécié)

  • "Ce qui est en train de se passer n'est pas ta faute, dit-il. Ni la mienne. Ni la faute d'une prédiction ou d'une malédiction. Ni de l'ADN, ni de l'absurdité du monde, ni du structuralisme, ni de la troisième révolution industrielle. Si nous mourrons et nous disparaissons, c'est que le monde repose sur un mécanisme d'anéantissement et de perte. Nos existences ne sont rien d'autre que les ombres projetées par ce principe. … p. 457/458

Est-ce cela le choix : la responsabilité ou l'anéantissement? Nous sommes la seule espèce capable de s'autodétruire…

P.S.2 : souvenons-nous que Frankenstein n'est pas le monstre, mais son créateur...

Allez… rendez-vous derrière la troisième dune à gauche, quand le soleil éclairera le palmier nain au fond…



[1] Quelques soient les questions "éthiques", c'est-à-dire en plus clair politiques : que décidons-nous? Pourquoi? Et vers quoi?

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